Quatre ans plus tôt — Cette fois, on ne les laissera pas s’en tirer. Ma sœur cadette leva ses yeux embués vers moi. — C’est foutu, Jace. Ils ont gagné. Liam est parti. Une larme sillonna sa joue. Du haut de mes quatorze ans, je ne l’avais jamais vue autant pleurer depuis sa naissance. — Comme maman. — Elle a raison, murmura mon frère Cole. On pourrait peut-être persuader papa de déménager. Il s’était départi de son habituel sourire en coin, ce qui rendait ses yeux noisette à peu près aussi éteints que ceux de Liam tel que je l’avais trouvé dans sa penderie voilà trois jours. Mon cœur se serra. Le regarder m’affligeait. En dépit de leurs caractères opposés, Cole et Liam étaient de vrais jumeaux. À cet instant précis, ce détail n’était qu’un rappel de plus que tout avait méchamment déraillé. Ma famille se décomposait. Et mon père était trop absorbé par sa carrière et le chagrin pour y remédier. Ce qui ne m’interdisait pas d’intervenir. Avec Liam, mon petit frère et mon meilleur ami, je ne m’étais pas montré à la hauteur. Mais je ne lâcherais pas le frère et la sœur qu’il me restait. Je ne laisserais ni cette ville ni ses habitants détruire ma famille. Un jour, ma mère m’avait dit qu’étant l’aîné, il m’incombait de veiller sur eux. D’être celui sur qui ils pouvaient compter. Les guider dans la vie de sorte qu’elle soit un peu plus facile pour eux. Désormais, l’unique moyen de les protéger impliquait de bâillonner mon chagrin et de laisser rejaillir la rage qui frémissait au fond de mon âme.
Ma mère et mon petit frère ne reviendraient pas… même si nous versions des torrents de larmes ou implorions Dieu d’effacer l’impensable. Dieu avait depuis longtemps cessé de nous écouter. Mon père avait démissionné à l’instant où sa femme avait rendu son dernier souffle. J’étais tout ce qui leur restait. Résultat, la tristesse et le deuil n’avaient plus leur place dans mon cœur. Toute émotion envers les défunts était vaine… Charge à moi de prendre soin des vivants. Au moins, la colère agissait en moteur super puissant. Elle masquait un peu de la culpabilité que j’entretenais en moi. Je me levai. — Pas question qu’on parte. La confusion se peignit sur leurs traits. Cole ouvrit la bouche pour parler mais je secouai la tête. Son tour viendrait après le mien. Ce que j’avais à annoncer était crucial. — Nous chasser, c’est justement leur objectif. Royal Manor grouillait d’arrogants friqués qui préféraient se débarrasser d’un problème plutôt que d’affronter les leurs. Pas moyen. Liam était mort à cause d’une bande d’enfoirés de lycéens qui avaient pris un malin plaisir à humilier un ado anxieux qui bégayait. Et je n’avais pas été là pour le défendre comme j’aurais dû. À cause d’elle. — Ils s’attaquent à la mauvaise famille, dis-je, bras croisés. Le moment est venu de leur faire goûter leur propre poison. Leur rendre ce qu’ils ont infligé à Liam. La détermination déferlait en moi, si puissante qu’elle m’étouffait presque. — Et nous n’arrêterons pas avant qu’ils nous craignent tous, jusqu’au dernier.
Bianca tamponna ses larmes avec sa manche. — Jusqu’à ce qu’ils aient payé. Le sourire arrogant de Cole reparut. — Jusqu’à ce que nous dominions cette ville et que chacun de ses habitants nous mange dans la main. Jusqu’à ce que nous ayons vengé le frère que nous avions perdu. 1 Dylan Dylan, J’espère que tu as fait bon voyage. Ton oncle Wayne et moi rentrons de Paris demain matin. Sers-toi dans le frigo. Ta chambre est prête, installe-toi. Oakley te montrera où se trouvent les choses dont tu pourrais avoir besoin. J’ai hâte de te voir. Je t’embrasse. Ta tante Crystal qui t’aime. PS :Je te ferai un double des clés, mais en attendant, utilise celuisous le paillasson. L’agacement me gagne à mesure que je parcours le post-it rose fuchsia placardé sur la porte d’entrée. Un simple SMS aurait suffi pour indiquer l’emplacement du double des clés. En plus de présenter moins de danger. Non pas que Royal Manor soit une ville dangereuse. Loin de là. À vrai dire, le faible taux de criminalité et la qualité des écoles du secteur ont convaincu mes parents de me laisser grandir ici. Et si ma mère ne s’était pas éteinte quand j’avais huit ans, et si mon père ne s’était pas embringué avec une seconde femme décidée à s’installer dans une localité encore plus cossue de la côte ouest quand j’avais quatorze ans… Non, je ne dévalerai pas cette pente aujourd’hui. Spéculer sur ce que serait ma vie si ma mère était toujours de ce monde ou déplorer la tournure des événements ne changera pas le passé. Avec un profond soupir, je hisse mon bagage sur la terrasse et localise le trousseau sous le tapis avant de pénétrer dans ce qui sera mon foyer pour l’année à venir. À peine ai-je posé le pied sur le parquet en merisier que mon téléphone sonne. Je devrais nous rendre service et laisser la messagerie me relayer, néanmoins j’accepte l’appel d’un glissement du doigt.
Je suis accablée, furieuse… et pas encore prête à lui parler. Mais je ne suis pas au-dessus de la mesquinerie. — Ceci est un appel en PCV de Brian Taylor du centre correctionnel d’Oak Creek. Pour accepter cet appel, faites le cinq. Pour refuser l’appel, faites le zéro. J’appuie illico sur le zéro et raccroche. Dégage, papa. Grâce à un second post-it de ma tante Crystal, je trouve la chambre d’amis préparée à mon intention. Bon, « préparé » est un grand mot. Exception faite du lit double recouvert d’un boutis rouge, d’un bureau vide et d’un autre post-it promettant de m’emmener en virée shopping dans la semaine…la pièce est dénudée. Non que cela me dérange. Ma vie entière tient dans un sac de sport et une valise de taille moyenne. Zéro chichi, telle est ma devise. Moins de raisons de m’attacher. J’ouvre la penderie pour suspendre mes vêtements quand trois jupes plissées, trois chemises blanches fraîchement repassées et trois blazers bleu marine attirent mon attention. L’emblème de la Royal Hearts Academy, au-dessus de la poche de poitrine gauche, me nargue quasiment. Je ne suis pas en position de formuler des exigences, étant donné que ma tante et son mari ont la gentillesse de recueillir la vagabonde que je suis. N’empêche que j’ai insisté sur un seul point : fréquenter l’école publique locale plutôt que la Royal Hearts Academy. Mon père m’a inscrite de force dans le privé, du primaire au collège, expérience qui fut l’une des plus cauchemardesques de ma vie. L’organe logé dans ma poitrine se contracte. Hormis rencontrer Jace. Naturellement, mon unique vœu fut le seul point sur lequel le mari de Crystal refusa de négocier sous prétexte que mon cousin, techniquement mon cousin par alliance, entre en terminale à RHA. D’après Wayne, poursuivre ma scolarité avec son fils Oakley me sera bénéfique. Ce dernier pourra m’aider à me débrouiller au sein de l’établissement
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